Au-delà de l’urgence : la Maison autochtone de Montréal

Le seul centre d’hébergement autochtone pour hommes et femmes dans la grande région métropolitaine de Montréal, Projet autochtone du Québec (PAQ), s’est vu dans l’obligation de se relocaliser. Manuel Penafiel, organisateur communautaire au CIUSSS Centre-sud-de-Île-de-Montréal, a accompagné l’équipe de PAQ dans ce long processus. Il raconte les défis et les moments forts de cette aventure qui rappellent la marginalisation et la précarité des Autochtones à Montréal.

L’itinérance autochtone, relativement marginale avant les années 2000 à Montréal, contrairement aux villes à l’ouest du Québec, s’est développée de façon importante ces dernières années.1 L’itinérance chez les Autochtones au Canada est trois fois plus importante que chez les Allochtones. Alors qu’ils représentent 3 % de la population canadienne, 10 % de la population itinérante du Canada est composée d’Autochtones.2 Cette situation est le reflet des conditions vécues par les membres des Premières nations et des Inuits. Celles-ci sont d’ordre économique, social, politique et culturel : inégalités sociales et économiques, exclusion sociale et tutelle politique. Si les Autochtones urbains sont plus à risque que d’autres groupes sociaux de vivre des situations de grande pauvreté et d’itinérance, c’est parce qu’ils sont isolés et marginalisés dans les villes où ils sont amenés à vivre. Ils risquent, en raison de leur origine ethnique, d’être plus directement confrontés au racisme et à l’exclusion sociale.3

Deux grands traumatismes ont eu des effets dévastateurs chez les peuples autochtones. La colonisation et la législation raciste et punitive de la fin du XIX siècle, dont les pensionnats autochtones sont le symbole le plus fort du génocide culturel de l’État. Leur méfiance envers les Blancs se comprend à la lumière de leur histoire. Il est ainsi fréquent que les personnes itinérantes des Premières nations refusent d’aller vers les refuges de la métropole. Beaucoup d’entre elles ont connu les écoles résidentielles tenues par des religieux blancs. Les grands refuges sont encore empreints d’un certain héritage religieux, ne serait-ce que dans leurs noms. Pour certains, s’adresser à ces refuges, c’est leur demander de retourner vers leurs traumas ou celui de leurs parents. Plusieurs personnes témoignent d’un sentiment de discrimination à leur égard lorsqu’ils fréquentent ces ressources. Cette expérience discriminatoire peut être assimilée à celle vécue au quotidien par les membres des Premières nations et les Inuits.

Hébergement d’urgence

C’est dans ce contexte que Projets autochtones du Québec (PAQ) est né. Ce qui était au départ un organisme d’intégration sociale s’est transformé, sous l’impulsion de la Ville de Montréal, en un refuge d’urgence. PAQ est le seul centre d’hébergement autochtone mixte localisé dans la grande région métropolitaine de Montréal. Ce sont surtout des hommes, issus de différentes communautés des Premières nations, Inuits et Métis présentes sur le territoire du Québec, qui fréquentent le refuge. Actuellement, la mission première de l’organisme est de fournir de l’hébergement d’urgence. A titre d’exemple, l’organisme a accueilli environ 350 personnes en 2013-2014. C’est pourquoi PAQ voudrait servir de tremplin à une intégration sociale et urbaine, adaptée culturellement aux réalités et aux difficultés sociales que vivent ces personnes. Il offre actuellement 45 lits d’urgence (9 lits pour femmes, 36 lits pour hommes et des matelas d’urgence) ; un service de repas (plus de 16 000 repas servis en 2014-2015, soit une augmentation de 14 % par rapport à l’année précédente) et des activités culturelles.

PAQ développe une approche centrée sur la culture. L’organisme attache une importance capitale au fait d’intervenir dans la langue des hommes et des femmes qui le fréquentent. Il tente de recruter les membres du conseil d’administration, les intervenants et les bénévoles issus des différents peuples autochtones du Québec, tout en créant un espace culturellement sécuritaire pour des personnes ayant un passé collectif façonné par des traumatismes multigénérationnels importants, liés au dépouillement culturel.

Relocalisation

Les locaux occupés par PAQ sont la propriété du CSSS Jeanne-Mance (maintenant intégré au CIUSSS-CSIM), mais prêtés par la Ville de Montréal, locataire des lieux. En 2005, cette dernière, alors en pleine crise du logement, cherche des locaux permettant aux grands refuges d’offrir des lits supplémentaires. Parallèlement, avec d’autres acteurs, elle identifie le besoin d’un refuge d’urgence pour les communautés autochtones. Elle demande alors à un groupe, qui se penche depuis peu sur la question de l’insertion sociale des sans-abris autochtones, s’ils veulent développer cette ressource. PAQ devient ainsi, sans avoir auparavant estimé cette éventualité possible, un refuge d’urgence. En 2009, lorsque le CSSS demande à récupérer le bâtiment, PAQ est incapable de se relocaliser. Le CSSS pour sa part, doit se départir du bâtiment qui nécessite des travaux de rénovation majeurs.

Durant deux ans, PAQ et ses partenaires tentent en vain de trouver du financement et un emplacement pour la relocalisation. Une opportunité vient en 2011 avec la possibilité d’un financement provenant de la Stratégie des partenariats de lutte contre l’itinérance (SPLI). C’est dans ce contexte qu’un organisateur communautaire du CSSS reçoit le mandat d’accompagner le groupe dans son projet de relocalisation. Avec ce projet, PAQ souhaite consolider son action dans des locaux neufs et mieux adaptés aux besoins des personnes. Un deuxième volet de services sera déployé avec l’ajout de logements de transition. En effet, pour pouvoir réaliser le montage financier, le projet doit comporter un volet logements de transition, ce qui force le groupe à se positionner sur un développement qui, bien que souhaité et logique, arrive par la force des choses.

Malgré cette opportunité et le support des partenaires, PAQ fait face à divers défis et difficultés. D’une part, les modalités de financement contraignent le groupe à se questionner sur le développement des services. D’autre part, le projet de relocalisation doit être pensé en termes de proximité et de facilité d’accès pour les personnes fréquentant PAQ au centre-ville. Le groupe doit également composer avec la réticence des arrondissements à accueillir l’organisme. Lors des deux années de recherche d’emplacements, 37 sites différents ont été pressentis. Plusieurs questionnements émergent alors : soit les coûts d’acquisition sont trop élevés, soit l’emplacement géographique est problématique. Souvent, c’est la ville centre ou les arrondissements qui écartent le projet. Les raisons invoquées pour le refus ne sont pas explicitement liées au fait qu’il s’agisse d’un refuge pour autochtones, mais force est de constater que le projet déclenche une certaine hostilité. Tout au long du processus de relocalisation, les arrondissements et certains groupes de citoyens se mobilisent pour faire en sorte que le projet ne se réalise pas sur leur territoire.

Partage

PAQ doit composer avec de multiples pressions qui le rendent responsable de trouver une solution au problème de relocalisation. Cependant, les obstacles et les solutions sont contrôlés par des tiers : les emplacements ciblés relèvent des arrondissements et les subventions sont octroyées par des bailleurs de fonds externes au projet. Alors que la SPLI n’accorde que la moitié du montant demandé, le conseil d’administration change de stratégie et demande la rénovation des locaux occupés par PAQ et d’y rester pour cinq ans. Cette stratégie est jugée nécessaire afin de permettre à PAQ de consolider son approche clinique, sa structure financière et son conseil d’administration et ce, en vue de procéder à une relocalisation dans de meilleures conditions.

La proposition, qui ne sera pas retenue par l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal, permettra toutefois à l’organisme de prendre du pouvoir et de se positionner dans le dossier de la relocalisation comme un acteur important, en mesure d’influencer le cours des évènements. En effet, l’organisme qui travaille avec les institutions souvent de façon individuelle, s’assoit avec le Secrétariat aux affaires autochtones, le MSSS, l’Agence, la Ville de Montréal et le CSSS avec comme plan de partager une nouvelle vision des responsabilités. Le positionnement de PAQ renvoie plus spécifiquement à l’idée que ce n’est plus l’organisme qui a un problème de relocalisation, mais une communauté qui a un problème d’itinérance autochtone urbaine. Tous les acteurs partagent la responsabilité de devoir trouver une solution pour la communauté. L’offre de service peut être attribuée à PAQ, mais la construction d’un refuge et le support financier doivent être assumés par les différents paliers de gouvernement qui partagent une vision commune du problème et qui ont des responsabilités particulières.

Ce changement de vision n’a pas été accueilli de façon favorable par tout le monde. Trois éléments entrent en ligne de compte : la capacité de financer un projet d’immobilisation au centre-ville de Montréal (qui va payer ?), l’emplacement qui pourrait accueillir un refuge sans créer trop de désagréments au voisinage et la capacité de PAQ à soutenir le projet et à financer ses activités quotidiennes. Il fallait d’abord s’entendre sur le fait que la pertinence de PAQ pour Montréal était suffisamment grande pour que tous se mobilisent afin de doter la communauté d’un lieu où les femmes et les hommes autochtones puissent trouver un refuge sécuritaire culturellement. Il fallait également partager le fait que cette communauté vulnérable et en croissance a besoin de cette aide et qu’il est donc primordial pour la métropole de développer de nouvelles avenues. Enfin, il fallait arriver à un constat commun en ce qui a trait à la responsabilité collective de tous les partenaires autour de la table. En d’autres termes, PAQ insistait à ce moment-là sur la nécessité d’un engagement du politique permettant aux fonctionnaires d’agir sur la prémisse de la responsabilité populationnelle partagée. Cette vision n’était pas d’emblée partagée par tous les partenaires.

Un jeu d’alliance et d’influence s’est mis en place et, à tous les niveaux, des fonctionnaires ont travaillé à l’interne pour faire avancer ce dossier : partageant les constats, créant des liens, interpelant le politique et trouvant des solutions. Au bout d’un an de travail, les solutions financières ont été plus au moins trouvées, mais il restait à trouver un emplacement. Là aussi – et c’est compréhensible – les partenaires ne s’entendaient pas. Autoriser la venue d’un refuge dans un quartier est une démarche sensible.

Aboutissement

La volonté politique a permis aux différents acteurs à la fois de la scène municipale et provinciale de travailler ensemble. Un partenariat dans le vrai sens du mot, permettant le développement du projet et du groupe, s’est tissé. Cette collaboration n’a pas effacé les différences entre les acteurs (institutions, bailleurs de fonds et secteur communautaire), mais tous ont commencé à collaborer, à l’intérieur de leurs champs respectifs, sur une proposition partagée pour la communauté, chacun jouant son rôle avec son propre niveau d’imputabilité.

L’aboutissement de cette collaboration est le projet de la Maison autochtone de Montréal qui est actuellement en cours de réalisation. Cette maison est située à proximité de l’emplacement où PAQ a développé ses activités. Il s’agit d’un secteur où celles-ci sont acceptées par le voisinage et les acteurs du milieu. Ce secteur est également connu par les Autochtones en situation d’itinérance et vivant au centre-ville. La Maison autochtone aura deux bâtiments : un refuge pour la population autochtone itinérante et à risque d’itinérance et une maison de chambres de transition (quinze chambres et un studio adaptable pour personne vieillissante). Ces bâtiments seront munis d’une cour intérieure communautaire pouvant favoriser le soutien communautaire et la socialisation, des atouts précieux pour un mieux-être au sein de la communauté.

Le projet de Maison autochtone permet de créer une structure dédiée au soutien d’une population vulnérable qui n’est pas ciblée par d’autres ressources. La Ville de Montréal se dote ainsi d’une infrastructure permettant le développement d’une réponse réfléchie et développée par des membres de la communauté concernée. La Maison sera aussi une structure de prévention et de sortie de la rue pour les membres des Premières nations, les Inuits et les Métis touchés, tout en offrant deux bâtiments neufs à la place d’un terrain vague et d’un bâtiment dégradé.

Entraide

Les personnes fréquentant PAQ en ce moment le font car elles retrouvent une communauté d’entraide et un lieu culturellement sécuritaire, semblable à ce qu’elles rencontrent dans leurs communautés de provenance. Cependant, comment parler de projet de vie quand l’organisme qui les accueille est lui-même en mode survie et les reçoit dans des espaces mal adaptés et peu salubres? Les nouveaux locaux permettront d’envisager de travailler au-delà des services d’urgence du refuge.  Les chambres de transition pourront contribuer à encourager les membres à sortir de la rue. Le nombre croissant d’itinérants autochtones est imputable en partie aux problèmes de logement et de perspectives dans les communautés d’origine. Cette réalité fait en sorte que des personnes arrivant en ville avec des projets de vie finissent souvent à la rue, faute de structures d’accueil adéquates. Le projet de chambres de transition vise également les personnes qui ne présentent pas au départ un profil d’itinérance. L’idée est de les accueillir et de les orienter en les outillant. Par ailleurs, le processus de sortie de la rue peut se faire si on respecte un enchaînement d’interventions. Ainsi, l’accompagne-ment en refuge permettra d’aller en chambre de transition et l’accompagnement et le soutien en chambre de transition permettront l’intégration sociale menant à un niveau d’autonomie nécessaire pour avoir un logement autonome.

Pour l’organisme, s’établir dans des locaux en vue de répondre plus adéquatement à sa mission, de façon permanente, représente une prise de contrôle sur sa destinée. Le fait d’avoir un toit permanent permettra à PAQ de se concentrer sur le développement d’une stratégie d’intervention culturelle qui se veut holistique et axée sur le rétablissement physique et spirituel. Cependant, avec le projet d’immobilisation, nous assistons à un tournant décisif pour PAQ. Les enjeux financiers sont toujours présents. Le financement des activités et des services courants demeure tributaire de subventions non récurrentes. À ce niveau, le travail de promotion et de collecte de fonds auprès des gouvernements et du secteur privé reste essentiel.

Partager la responsabilité populationnelle4 ne va pas toujours de soi. Ce partage n’implique pas les mêmes responsabilités pour tous et peut forcer les partenaires à faire des choix difficiles dans d’autres dossiers. Au-delà de la relocalisation, nous avons travaillé à créer une intervention qui agit sur plusieurs déterminants de la santé, en dotant la ville d’une infrastructure dédiée au travail d’intervention touchant le logement, la culture et la pauvreté. Enfin, cela doit permettre à un groupe unique à Montréal de se stabiliser et d’intervenir sur les processus de guérison propres aux peuples autochtones du Québec.

Notes

1. L’action du gouvernement du Québec en itinérance depuis 2009 : Un bilan qui rappelle l’urgence d’instaurer une Politique en itinérance ; Mémoire déposé à la Commission santé et services sociaux de l’Assemblée nationale ; Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM) ; 25 novembre 2011.

2. Mémoire sur le phénomène de l’itinérance chez les Autochtones en milieu urbain du Québec, Mémoire déposé dans le cadre des Audiences publiques de la Commission des affaires sociales sur le phénomène de l’itinérance, Direction du Mémoire Regroupement des centres d’amitié autochtones du Québec; 12 novembre 2008 ‐ Québec

3. Ibid.

4. La «responsabilité populationnelle» fait partie des principes de la réforme de la santé de 2004-2005 où les CSSS exercent une responsabilité à l’égard de l’amélioration de la santé et du bien-être de la population de leur territoire. Ce type de responsabilité met à l’avant-plan la prévention et la promotion de la santé dans le continuum de services du CSSS et du réseau local qui lui est associé. Elle favorise des stratégies proactives, telle l’action partenariale et intersectorielle pour agir en amont et de façon efficace sur les principaux déterminants de la santé et du bien-être. Cette approche mise également sur le travail interdisciplinaire pour assurer un service adéquat et de qualité aux personnes résidant sur le territoire (Plan d’action local en santé publique 2010 -2015, CSSS Jeanne-Mance).