Collectif d’auteur-es: Christopher McAll, (professeur, sociologie, Université de Montréal), membre du CREMIS, Cécile Van de Velde (professeur, sociologie, Université de Montréal, membre du CREMIS), René Charest (organisateur communautaire, CSSS Jeanne-Mance, membre du CREMIS), Sophie Dupéré (professeure, sciences infirmières, Université Laval, membre du CREMIS), Fédérico Roncarolo, (stagiaire postdoctoral en santé publique, Université de Montréal) (IRSPUM), Geneviève McClure (APPR, développement de la recherche, CREMIS), François Régimbal (professeur, sociologie, Cegep du Vieux-Montréal, membre du CREMIS), Pierre-Luc Lupien, (professeur de sociologie, Cégep de Gaspésie et des Îles), Marta Llobet (professeure en travail social, Université de Barcelone, membre collaboratrice du CREMIS), Fabio Berti (professeur de sociologie, Université de Sienne), Chantal Mazaeff (directrice, Institut supérieur social de Mulhouse), Cyril Villet (responsable de formation, Institut supérieur social de Mulhouse), Manuella Ngnafeu (responsable, pôle insertion, APPUIS, Mulhouse). Voir Note 1.
Les interventions en «sécurité alimentaire» se font souvent dans l’urgence avec peu de ressources. Conséquemment et malgré elles, ces interventions peuvent contribuer à réduire les personnes à des « bouches à nourrir ». Le risque encouru est de reproduire le trait marquant des rapports sociaux inégalitaires producteurs de disparités de revenus et de conditions de vie : la réduction identitaire. Que ce soit vis-à-vis des personnes âgées, des mères monoparentales, des personnes bénéficiant de l’aide sociale, des membres de minorités ethniques ou racisées ou des personnes sans domicile, les traitements discriminatoires qu’elles subissent ont tendance à être fondés sur un regard réducteur qui ne voient en elles que des traits négativement connotés partagés par la catégorie de la population à laquelle elles sont censées appartenir. La personne peut disparaître derrière l’identité stigmatisée.
Agir sur les rapports sociaux inégalitaires producteurs de la pauvreté requiert de passer d’une telle approche réductrice à une approche globale, où la personne est reconnue dans les multiples dimensions de sa vie. Ce passage est prioritaire dans le cas de l’insécurité alimentaire, où, dans l’urgence, il peut y avoir tendance à dissocier l’alimentation de ces autres dimensions. Or, l’alimentation occupe une place centrale dans le bien-être global de la personne, y compris son bien-être relationnel et celui qui relève de son autonomie décisionnelle.
C’est avec les objectifs de mieux cerner la place de l’alimentation dans la vie de populations qui vivent l’insécurité alimentaire, d’identifier, de décrire et de proposer (le cas échéant) les approches et interventions le plus en mesure de répondre de manière globale et non-réductrice à ces besoins et de contribuer à l’élaboration de politiques et de programmes dans ce domaine, que le CREMIS entame un programme de recherche sur l’approche globale en sécurité alimentaire. Ce programme associe des collaborateurs à Mulhouse (France), Sienne (Italie) et Barcelone (Espagne) dans le cadre du réseau de «villes et régions laboratoires» animé par le CREMIS. Le partage des analyses fondées sur une méthodologie commune utilisée dans les quatre pays permettra de faire émerger des points de correspondance entre les sites et de consolider l’échange de bonnes pratiques et de bonnes politiques en sécurité alimentaire – favorisant une approche globale des personnes et des populations.2 Dans ce texte, nous présentons les fondements théoriques de ce programme qui vise à resituer l’enjeu de l’alimentation au cœur de la réflexion et de l’action sur les inégalités sociales.
Manques
Selon Anderson (1990), l’insécurité alimentaire existe lorsque la disponibilité d’aliments constituant une nourriture saine et nutritive en quantité suffisante ou la capacité d’acquérir ces aliments par des moyens socialement acceptables sont limitées ou incertaines. L’insécurité alimentaire peut donc être considérée comme une manifestation spécifique d’une situation de «privation» (dans le sens de Townsend, 1987). Au Canada, les données nationales et provinciales de 2012 montrent que 13% des Canadiens et 13.5% des ménages québécois sont en insécurité alimentaire. Les personnes à faible revenu vivant de l’aide sociale, celles qui reçoivent une compensation pour des accidents ou des indemnités du chômage, celles qui ont un faible niveau d’éducation, les autochtones, les personnes âgées, les célibataires ou les familles monoparentales ont un risque important de tomber en insécurité alimentaire (McIntyre, Bartoo et Emery, 2014).
Vers la fin des années 1990, le gouvernement du Québec s’est engagé dans le développement de la sécurité alimentaire en contribuant financièrement à soutenir l’action communautaire sur l’ensemble de son territoire. Toutefois, cette posture politique a conduit à une dépolitisation du problème et à une certaine déresponsabilisation de l’État (Pageau, 2008). En conséquence, les réponses à l’insécurité alimentaire prennent surtout la forme d’initiatives communautaires décentralisées, proposant des stratégies non coordonnées à des niveaux régional ou provincial et très variées dans leurs contenus. Ces stratégies représentent pour la plupart des interventions de mitigation de l’insécurité alimentaire dans une approche caritative; elles cherchent à répondre aux besoins immédiats de la population, sans s’intéresser aux causes primaires liées à la pauvreté, et présentent une efficacité limitée (Tarasuk, Naomi et Rachel, 2014).
Les recherches sur l’insécurité alimentaire abordent davantage les aspects liés aux caractéristiques nutritionnelles et à l’accès géographique et financier à la nourriture, que les aspects politiques, sociaux et culturels inhérents à la question du manque de nourriture. Les études qui prennent en considération les aspects sociaux des interventions se penchent surtout sur l’influence du capital social individuel concernant l’accès à la nourriture (Dean et Sharkey, 2011; Chabra, Falciglia et Lee, 2014). Différents enjeux peuvent freiner l’accès aux ressources qui s’inscrivent dans une logique caritative, comme les banques alimentaires. Parmi ces enjeux, les personnes peuvent ressentir de la honte à l’idée d’être associées à la pauvreté et avoir des sentiments de peur d’être stigmatisée. (Loopstra, 2012; Edward et Evers, 2001; Gundersen et Oliveira, 2001). De plus, recourir aux banques alimentaires peut s’avérer socialement inacceptable et contredire des valeurs soutenues par l’entourage familial et la société en général, comme, par exemple, l’indépendance et l’autonomie (Loopstra, 2012).
Par contre, d’autres études soulignent que des initiatives comme les cuisines collectives sont efficaces dans l’amélioration des interactions sociales et dans l’empowerment individuel (Iacovou et al., 2012; Engler-Stringer et Berenbaum, 2005; Engler-Stringer et Berenbaum, 2007). Cependant, ces interventions ne rejoignent pas les individus connaissant le plus d’insécurité sur le plan alimentaire et s’adressent à une partie de la population qui n’est pas la plus démunie (Roncarolo et al., 2014; Kirkpatrick et Tarasuk, 2009; Loopstra et Tarasuk, 2013). Bien que plusieurs recherches aient ciblé des groupes spécifiques de personnes en situation d’insécurité alimentaire, la plupart des études sont transversales et ne permettent pas de bien saisir la réalité de cette insécurité telle que vécue dans le quotidien au niveau individuel (Collins, Power et Little, 2014). La façon dont on se nourrit et les changements que l’accès aux services communautaires peut apporter dans la vie des individus ont été peu étudiés, tandis que l’importance culturelle de la nourriture dans la vie des individus ait été reconnue (Engler-Stringer, 2010).
C’est dans ce contexte que le programme présenté ici vise à mieux cerner la place de l’alimentation dans la vie de populations qui vivent l’insécurité alimentaire et à identifier et à décrire les approches, interventions et politiques le plus en mesure de répondre de manière globale et non-réductrice à ces besoins.
Parent pauvre
Pour faire avancer les connaissances et les pratiques en sécurité alimentaire, il faut voir cette dernière comme étant un enjeu central des rapports sociaux inégalitaires producteurs des écarts de richesse et de pauvreté. La pauvreté est généralement perçue comme un «état» dans lequel on «tombe» quand on ne dispose plus du revenu nécessaire pour maintenir un niveau de vie jugé nécessaire dans un contexte social donné. Ce manque peut être pensé en termes absolus, quand la capacité de fonctionner ou même la survie de la personne est en jeu, ou en termes relatifs, quand les conditions et qualité de la vie de la personne sont jugées inadéquates par rapport aux normes en vigueur.
Depuis les études de Rowntree à la fin du XIXème siècle, l’alimentation occupe une place centrale dans les études sur la pauvreté, avec l’idée d’un «seuil» de pauvreté calculé à l’origine en fonction des besoins quotidiens en calories d’un homme adulte exerçant un travail qui demande un effort physique soutenu (Rowntree, 1901). L’idée de «pallier à un manque» ou de «combler un déficit» reste centrale quand il s’agit de «lutter contre la pauvreté», mais Rowntree a aussi attiré l’attention sur le fait qu’il existe un lien entre les déficits des uns, sur le plan de l’alimentation, et le surplus des autres. À York, en 1899, prédominaient deux types de malnutrition : sous-alimentation chronique dans les quartiers ouvriers et suralimentation dans les quartiers plus aisés, avec une valeur moyenne calorifique quotidienne des aliments consommés dans ces derniers quartiers dépassant largement les besoins individuels.
L’insécurité alimentaire serait ainsi un des principaux indicateurs d’une distribution de la richesse où la privation des uns va de pair avec la surabondance dont bénéficient les autres. C’est pour cette raison que Beveridge, en 1944, proposait un rôle central à l’État dans la distribution alimentaire et le contrôle des prix des aliments essentiels, au même titre que le rôle proposé dans les domaines de la santé, de l’éducation, du logement et de l’organisation du marché du travail (Beveridge, 1944 :161). Cette proposition est restée largement sans suites, au-delà du contrôle de la qualité des aliments et d’une certaine rationalisation de la production agricole. L’alimentation échappe ainsi à certains principes d’universalité d’accès qui caractérisent les systèmes de santé et d’éducation, autant au Québec que dans des sociétés comparables.
L’incapacité de se payer les aliments nécessaires oblige certaines populations à recourir aux organismes de charité œuvrant dans le secteur volontaire ou associatif. Ces organismes ont tendance à être eux-mêmes précaires sur les plans financier et organisationnel et sont distribués de manière inégale sur le territoire québécois. Ce type de réponse à l’insécurité alimentaire conserve les traits marquants de l’action caritative de la fin du XIXème siècle (Finlayson, 1994; Nelson, 1990). À l’époque actuelle, alors que l’État s’est donné une capacité développée et rationalisée d’intervenir dans le domaine de la santé, la sécurité alimentaire, pourtant un des principaux déterminants de la santé, demeure un parent pauvre de l’intervention socio-sanitaire.
Protection
L’organisation locale et volontaire de l’offre des services en sécurité alimentaire, avec des intervenants qui se voient obligés de répondre à l’urgence avec peu de moyens, peut avoir des conséquences sur la manière dont les personnes se sentent en fréquentant ces organismes. Dupéré et Gélineau (2014), dans leur étude auprès de personnes utilisant les ressources en sécurité alimentaire, soulignent que les sentiments d’orgueil, de honte ou de crainte d’étiquetage sont ressortis fortement. L’exposition aux regards jugés discréditants et stigmatisants des autres a été nommée comme un élément freinant l’accès aux ressources. Le climat de tension et même de violence dans certaines ressources de distribution en milieu urbain est également ressorti de cette étude, alors qu’en milieu rural, il peut y avoir un manque de confidentialité et une crainte de perdre sa réputation dans la communauté. Dans ces cas, ne pas utiliser une ressource peut constituer une forme de « protection identitaire », le fait même de demander de l’aide pouvant être lié à un sentiment de dévalorisation selon les normes sociales dominantes.
Ces normes seraient particulièrement ressenties en lien avec la masculinité. Les hommes ne voudraient pas passer pour des « quêteux », des « faibles » ou des personnes qui « abusent » du système. L’homme doit se débrouiller seul, être pourvoyeur, capable de mettre de la nourriture sur la table. Certains disent préférer voler qu’aller «quêter», tandis que d’autres ont avoué envoyer leur copine. Certains considèrent que ces services sont destinés à un type de personnes auquel ils ne s’identifient pas ou qu’ils ne veulent pas côtoyer. Par exemple, des femmes et des personnes âgées ne voudraient pas côtoyer des «itinérants» jugés «sales et dangereux» (Dupéré et Gélineau, 2014).
Disparaître
En plus de ces sentiments de honte ressentis par des personnes obligées de recourir à des services d’aide alimentaire, le service lui-même a parfois pour conséquence de réduire involontairement la personne à son seul besoin alimentaire qu’elle cherche à satisfaire. Elle deviendrait, en quelque sorte, une «bouche à nourrir». Ironiquement, ce type de réduction identitaire risque de reproduire un des traits marquants des rapports inégalitaires : la réduction d’une population à un trait (connoté négativement) censé les caractériser. La personne dans sa globalité, avec son identité et son histoire, risque de disparaître derrière ces traits. La réduction identitaire dans le cas de l’insécurité alimentaire peut être associée à d’autres types de stigmatisation où la personne qu’on a en face de soi – qu’elle soit mère monoparentale, personne âgée, personne itinérante, ou autre – fait déjà partie d’un groupe qui subit un regard stigmatisant dans ses interactions quotidiennes. À travers l’âgisme, par exemple, on peut voir les personnes âgées comme autant de corps «inutiles» qui doivent être entretenus par ceux qui sont toujours «actifs», l’aide alimentaire d’urgence étant une preuve supplémentaire de leur «inutilité» et du «fardeau» qu’elles représentent pour la société.
La réduction identitaire que peuvent subir les personnes fréquentant les ressources en sécurité alimentaire va de pair avec une certaine conception de l’alimentation en tant que «besoin» détaché des autres aspects de la vie d’une personne. En même temps que les personnes et populations vivant l’insécurité alimentaire peuvent ne pas «exister» aux yeux des autres au-delà de ce besoin immédiat, la vision réductrice de l’alimentation peut empêcher de penser les services autrement.
Chambers (1995) fait justement une critique du caractère réducteur de la pensée «experte» sur la pauvreté dans le contexte du développement international. Là où les experts du Fonds Monétaire International (FMI) ou de la Banque mondiale ne voient qu’un problème de manque de revenu dû à l’absence d’emplois et de développement industriel, des recherches fondées sur les témoignages des personnes elles-mêmes font ressortir la multidimensionnalité de la pauvreté en lien avec le «bien-être» (well-being) et son contraire, le «mal-être» (ill-being). Dans ces sociétés, l’alimentation est au cœur des activités du quotidien, n’étant pas dissociée des relations sociales dans lesquelles elle s’inscrit : relations d’autonomie et de dépendance, relations familiales et de voisinage, le tout dans un cadre de collaboration autour de la production, de la distribution et de la consommation d’aliments.
Cette perspective fait écho aux recherches de Townsend (1987), qui mettent l’accent sur la «privation» que peuvent vivre les populations sur un ensemble de dimensions, dont l’alimentation. Townsend souligne autant les dimensions matérielles que sociales de la pauvreté. L’incapacité d’assurer une alimentation adéquate pour soi-même et pour ses enfants a un impact cumulatif sur la santé des personnes, mais aussi des conséquences négatives sur la capacité de maintenir les rapports familiaux et d’amitié fondés sur la réciprocité et l’échange.
Ce dernier constat fait ressortir le caractère social de l’alimentation et les rituels qui l’entourent. Sur ce plan, l’insécurité alimentaire peut aller de pair avec l’isolement et la solitude, soit parce que la personne n’a pas les moyens pour maintenir la réciprocité qui est au fondement de la vie sociale, soit parce qu’elle vit seule et néglige de se donner une bonne alimentation. Tout comme Chambers, Townsend insiste sur la nécessité de tenir compte de la multidimensionnalité de la pauvreté, dans son cas, à travers des enquêtes par questionnaire qui cherchent à rendre compte de manière très fine du niveau de privation sur chacune des dimensions identifiées. Townsend et Davidson (1982) mettent aussi l’accent sur l’utilité de la définition «sociale» de la santé de l’Organisation Mondiale de la Santé, fondée sur les différentes dimensions «physiques, sociales et mentales» du bien-être.
La file d’attente
Ces différents constats nous amènent à proposer une vision multidimensionnelle et non-réductrice de la pauvreté et des personnes. Nous mettons l’accent sur les rapports sociaux inégalitaires qui sous-tendent les inégalités dans l’accès à l’alimentation – rapports qui peuvent subsister dans les interventions qui visent à agir sur ces inégalités. Tout comme Townsend et Chambers, nous faisons aussi le lien avec la notion de «bien-être», en lui attribuant (comme Townsend lui-même) une valeur à la fois objective et subjective. À ce titre, nous distinguons cinq dimensions du «bien-être» qui permettent une lecture plus «globale» de l’impact de l’insécurité alimentaire dans la vie des personnes : les dimensions matérielle (ressources, conditions de vie), relationnelle(solitude, insertion dans les réseaux familiaux, amicaux ou autres), corporelle (santé physique et mentale), décisionnelle (autonomie) et temporelle (les routines de la vie quotidienne et les parcours de vie) (McAll, Fournier et Godrie, 2014). La place de l’alimentation dans la vie quotidienne des personnes et le rôle joué par les ressources existantes sont à penser en fonction de chacune de ces dimensions du bien-être, mais aussi à la lumière des rapports spécifiques à l’alimentation de chacune des populations identifiées comme étant susceptibles de faire appel aux organismes qui fournissent une aide alimentaire d’urgence ou un soutien en lien avec l’alimentation.
Soulignons qu’au Québec de 2008 à 2014, il y a eu une augmentation significative (23%) du nombre de personnes utilisant les banques alimentaires (Banques alimentaires Canada 2014). Les personnes âgées et les jeunes adultes sont deux sous-groupes qui sont de plus en plus nombreux à fréquenter ces ressources. Toutes ces personnes n’échappent pas à la multidimensionnalité des rapports sociaux inégalitaires. Une jeune qui se présente à une banque alimentaire peut être étudiante et mère monoparentale. Elle peut aussi être sur l’aide sociale et faire face à une insuffisance de revenu qui se traduit par l’incapacité de se payer les aliments nécessaires, tout en se trouvant dans un quartier où l’offre d’aliments de qualité à un prix accessible est déficitaire. Elle peut se distinguer des autres non seulement par ses responsabilités parentales et par certains types de jugement auxquels elle est exposée au quotidien, mais aussi par le soutien qu’elle peut recevoir, sous la forme, par exemple, de l’aide apportée par sa mère (Dandurand et McAll, 1996). Un homme itinérant dans la cinquantaine qui se trouve aussi dans la file d’attente d’une banque alimentaire peut faire face à d’autres contraintes, sa vie quotidienne étant structurée autour des horaires des ressources en sécurité alimentaire et des refuges.
Le présent programme vise à rendre compte de ces différences et à faire en sorte que les individus ne soient pas réduits à de simples consommateurs d’aide alimentaire de dernier recours, qu’ils soient accueillis dans leur multidimensionnalité, que l’aide alimentaire s’inscrive dans une approche globale visant la consolidation du bien-être sur les plans matériel, relationnel, corporel, décisionnel et temporel.
Arrimage
L’approche globale signifie également un meilleur arrimage entre les services existants, tels les cuisines collectives, banques alimentaires et marchés solidaires, qui répondent chacun à des besoins spécifiques, ainsi que le nombre croissant de groupes communautaires désirant intervenir sur le plan de l’alimentation Ce programme de recherche vise à consolider ce travail de réseautage et de coordination à travers des activités de partage et de transfert, tout en faisant en sorte que la diversité de pratiques communautaires visant la sécurité alimentaire, dans leur dimension «globale», soit mieux connue. L’approche globale nécessite également une meilleure coordination des responsabilités entre les différents niveaux local, régional et national.
Comme nous l’avons mentionné auparavant, depuis la fin des années 1990, on remarque une certaine déresponsabilisation du gouvernement central au Québec à l’égard de la sécurité alimentaire (Pageau, 2008). Les réponses à ce problème ont tendance à se résumer à des initiatives communautaires décentralisées fondées surtout sur la mitigation de l’insécurité alimentaire dans une approche caritative. Il y a une responsabilité collective à assumer, à travers l’élaboration de politiques et de programmes qui devraient, selon nous, être fondés sur la transformation de l’offre de services au niveau local en fonction de l’approche globale.
Notes
1. Christopher McAll, (professeur, sociologie, Université de Montréal, membre du CREMIS, Cécile Van de Velde (professeur, sociologie, Université de Montréal, membre du CREMIS), René Charest (organisateur communautaire, CSSS Jeanne-Mance, membre du CREMIS), Sophie Dupéré (professeure, sciences infirmières, Université Laval, membre du CREMIS), Fédérico Roncarolo, (Stagiaire postdoctoral en santé publique, Université de Montréal) (IRSPUM), Geneviève McClure (APPR, développement de la recherche, CREMIS), François Régimbal (professeur, sociologie, Cegep du Vieux-Montréal, membre du CREMIS), Pierre-Luc Lupien, (professeur de sociologie, Cégep de Gaspésie et des Îles), Marta Llobet (professeure en travail social, Université de Barcelone, membre collaboratrice du CREMIS), Fabio Berti (professeur de sociologie, Université de Sienne), Chantal Mazaeff (directrice, Institut supérieur social de Mulhouse), Cyril Villet (responsable de formation, Institut supérieur social de Mulhouse), Manuella Ngnafeu (responsable, pôle insertion, APPUIS, Mulhouse).
2. Une première démarche de recherche s’inscrivant dans le programme présenté dans cet article se déroule actuellement à Montréal, Barcelone, Mulhouse et Sienne en collaboration avec Fabio Berti (Université de Sienne), Marta Llobet et Paula Duran Montfort (Université de Barcelone), Chantal Mazaeff, Cyril Villet (Institut supérieur social de Mulhouse) et Manuella Ngnafeu (Appui, Mulhouse).
3. Ce programme se met en place en collaboration avec le Groupe de recherche et de formation sur la pauvreté au Québec (affilié au Front commun des personnes assistées sociales du Québec), groupe partenaire de longue date du CREMIS. Cette collaboration permet de faire appel aux savoirs expérientiels de la trentaine de groupes membres du Front commun présents dans les différentes régions du Québec. Le Regroupement des Auberges du cœur du Québec est également un partenaire dans la démarche. Le programme a aussi été développé en collaboration avec le Comité de travail sur la sécurité alimentaire du CSSS Jeanne-Mance. Ce comité, soutenu par des organisateurs communautaires, a organisé le premier Rendez-vous Jeanne Mance sur la sécurité alimentaire en 2014. Ce rendez-vous a réuni différents professionnels du CSSS Jeanne-Mance, ainsi que les partenaires du réseau local, dont les tables de quartier du territoire du CSSS qui ont entamé des travaux sur la thématique de la sécurité alimentaire en lien avec l’arrondissement et les trois tables de concertation en sécurité alimentaire du territoire auxquelles participent des organisateurs communautaires du CSSS. Le comité a rédigé un état de la situation concernant la sécurité alimentaire sur le territoire et a consulté plusieurs professionnels du CSSS, (nutritionnistes, travailleurs et travailleuses sociales, infirmières) à propos des enjeux entourant cette question. La consultation a permis de constater que la sécurité alimentaire est une préoccupation importante chez les professionnels du CSSS dans la mesure où les difficultés économiques, les restrictions d’accès à une alimentation adéquate et un déficit de compétence culinaire chez plusieurs usagers-ères des services pouvaient causer des problèmes graves ou chroniques de santé.
Références
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- Collectif d’auteur-es
- Cécile Van de Velde
- Professeure, département de sociologie, Université de Montréal, Titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les inégalités sociales et les parcours de vie, membre du CREMIS
- René Charest
- Organisateur communautaire au CSSS Jeanne-Mance
- Federico Roncarolo
- Geneviève McClure
- Coordonnatrice de l’Équipe PRAXCIT, CREMIS
- Pierre-Luc Lupien
- Étudiant à la maîtrise, Département de sociologie, Université de Montréal et agent de recherche au CREMIS
- Chantal Mazaeff
- Cyril Villet
- Manuella Ngnafeu
- Marta Llobet Estany
- Professeure agrégée, Département de travail social et services sociaux, Université de Barcelone, Collaboratrice de l’Équipe PRAXCIT
- Paula Durán Monfort
- Professeure, travail social
- Fabio Berti
- Professeur de sociologie Université de Sienne