La sauvegarde des maisons de chambres : refaire sa vie

À Montréal, le nombre de maisons de chambres diminue constamment. Entre 1977 et 1987, 40% du parc des maisons de chambres a disparu et, en 2007, la Ville de Montréal dénombrait seulement 2 915 chambres privées réparties dans 180 maisons, auxquelles s’ajoutaient 2 000 chambres gérées par des organismes sans but lucratif (OSBL), c’est-à-dire des maisons de chambres socialisées.1 Plusieurs consultations publiques ont abordé la question de cette diminution. En 1987, Année internationale du logement des sans-abri, une consultation de la Ville de Montréal a porté sur des pistes de solutions pour répondre aux besoins de personnes en situation ou à risque d’itinérance. En 2007, la Ville tenait encore une fois une consultation sur l’itinérance.2 Le 4 novembre 2009, la Commission de la santé et des services sociaux du gouvernement du Québec rendait public son rapport sur l’itinérance au Québec.

Les élections municipales de novembre 2009 offraient à nouveau une occasion importante de sensibiliser la population, les candidats et, par la suite, les élus, à la disparition des maisons de chambres ; danger accentué par les nombreux projets prévus pour le centre-ville et d’autant plus réel que certaines chambres ont déjà disparu au profit du Quartier des spectacles. C’est pourquoi le Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM) a organisé une nouvelle consultation, la Commission populaire sur la sauvegarde des maisons de chambres à Montréal, qui déposait en janvier 2010 son rapport intitulé « Maisons de chambres en péril : la nécessité d’agir ».3

Comme membre de cette commission, je me demandais au début du processus si les maisons de chambres avaient encore une utilité. Ce type de logement n’était-il pas dépassé ? La réponse de la Commission est claire : les maisons de chambres répondent à de réels besoins qui ne peuvent pas être comblés par d’autres formes d’habitation. Leur sauvegarde est urgente.4

Avant et après la rue

Les maisons de chambres répondent aux besoins d’une population diversifiée, allant de la personne qui vient de divorcer, au travailleur qui arrive de la campagne, auxquels s’ajoutent les personnes sortant d’institutions, toxicomanes ou ex-toxicomanes, les personnes avec des maladies mentales ou encore, des gens qui ne peuvent tout simplement plus se payer un appartement. La majorité des chambreurs sont des hommes. Les conditions de promiscuité, comme le partage des unités sanitaires, peuvent expliquer l’absence de femmes, mais peut-être y a-t-il tout simplement moins de chambres disponibles pour elles. La maison de chambres est souvent perçue comme la dernière étape avant de perdre son domicile et le premier logement après la rue.

Du côté des propriétaires, on observe aussi toute une variété, allant de la veuve qui survit grâce aux loyers, au propriétaire véreux qui loue ses chambres à un prix élevé et terrorise ses chambreurs, en passant par les OSBL qui engagent des concierges et des animateurs pour soutenir les locataires.

Droits des chambreurs

Certains aspects de la vie quotidienne ont attiré l’attention de la Commission. Par exemple, les chambreurs n’ont pas leur propre boîte à lettres, ce qui implique que le responsable de la maison peut s’approprier les chèques et se mêler de la vie privée des locataires. Certaines chambres ne peuvent par ailleurs être fermées à clé. D’autre part, le manque d’insonorisation et les petites dimensions des chambres ont été soulevés. Le partage de la salle de bain et de la cuisine cause souvent des ennuis, quoiqu’il ait été mentionné que le partage d’espaces communs puisse faire partie de l’apprentissage du chambreur.

En raison de l’absence de portrait complet et à jour des maisons de chambres existantes sur le territoire, il est difficile de faire un suivi en ce qui concerne la salubrité et la sécurité des logements, même si une règlementation existe à ce sujet. De plus, face au manque de maisons de chambres, les chambreurs hésitent à faire des plaintes devant la Régie du logement ou à la Ville de Montréal par crainte qu’elles ne soient fermées. Par ailleurs, la plupart des chambreurs ne sont pas au courant de leurs droits en tant que locataires et sont victimes de discrimination à cause, entre autres, de la mauvaise réputation des chambreurs auprès de la population en général.

Compétition pour l’espace

Le problème de la disparition des maisons de chambres est particulièrement aigu dans le centre-ville de Montréal. La pression des promoteurs qui entrent en compétition pour l’espace a pour effet d’augmenter la valeur des terrains et les taxes, de sorte que les projets autres que les maisons de chambres sont plus profitables. Même quand les maisons de chambres restent dans le domaine de l’habitation, elles sont souvent transformées en gîtes touristiques ou, une fois rénovées, en condos. Le manque d’information sur les terrains et les immeubles à vendre, ainsi que la lenteur des procédures pour l’acceptation de projets, se posent comme des obstacles importants pour la construction de nouvelles maisons de chambres. Leur disparition au centre-ville est d’autant plus grave que la plupart des services pour les personnes en difficulté s’y concentrent.

Une des préoccupations de la Commission était l’existence d’une relève de propriétaires potentiels pour construire de nouvelles maisons de chambres. Des OSBL sont prêts à développer des projets avec des services correspondant aux besoins des locataires si les fonds sont disponibles pour la rénovation ou la construction. Ces derniers présentent clairement des avantages par rapport aux maisons de chambres privées à but lucratif. Ainsi, dans les OSBL, le loyer s’établit généralement à 25% du revenu du locataire avec les services payés à part, tandis que le coût du loyer des chambres sur le marché privé varie, mais peut atteindre 500 $ par mois. Rappelons que les prestations de la sécurité du revenu pour une personne seule s’élèvent à 564 $ si elle est considérée apte à l’emploi et, qu’au Québec, un travailleur à temps plein rémunéré au salaire minimum obtient un revenu annuel qui est en deçà du seuil de faible revenu fixé par Statistique Canada.

Cependant, les maisons de chambres socialisées ont leur part de problèmes : les programmes gouvernementaux ne tiennent pas suffisamment compte des coûts impliqués et de la nature des maisons de chambres. Les activités et le soutien aux chambreurs ne sont pas assez financés. Malgré tout, ces maisons de chambres socialisées offrent des logements salubres à un prix que les gens peuvent payer.

Affirmer sa citoyenneté

La Commission avait pour objectif de donner la parole aux citoyens et citoyennes en situation d’itinérance ou vivant en maison de chambres et, dans un deuxième temps, aux organismes qui les représentent. La Commission voulait aussi entendre les autres résidents et résidentes des secteurs concernés. Cela a permis de dresser un portrait concret de la situation. Avant les audiences, des entretiens ont eu lieu dans onze organismes actifs dans le milieu tels Action-Réinsertion/Sac-à-dos (café du quartier), l’Auberge du cœur Le Tournant (hébergement pour les jeunes), la Maison du Père et la Table de concertation du Faubourg St-Laurent. Cette étape permettait aux gens d’échanger dans des espaces qui leur étaient familiers et dans une atmosphère moins intimidante qu’une assemblée publique. Une centaine de citoyens et trente-six organismes ont, par la suite, participé à l’assemblée publique.5

Suite à cette assemblée, dix recommandations ont été faites aux autorités municipales, provinciales et fédérales, la plupart très concrètes. La Commission a notamment recommandé le développement de cent chambres par année pendant dix ans, un moratoire d’au moins deux ans sur la transformation des maisons de chambres et des subventions pour installer des boîtes à lettres individuelles.

Les audiences ont révélé une fois de plus que le logement est une base essentielle à partir de laquelle on peut refaire sa vie et affirmer sa citoyenneté. À quand une véritable politique d’habitation pour le Québec ? À quand un plan de développement du centre-ville de Montréal qui donne droit de cité à tous et toutes sans discrimination ?

Notes

  1. Voir Atelier habitation Montréal (2009).Plan d’affaires pour une intervention sur le parc de maisons de chambres de Montréal, janvier, Montréal.
  2. Voir Commission du conseil municipal sur le développement culturel et la qualité du milieu de Vie (2008).L’itinérance : Des visages multiples, des responsabilités partagées, Ville de Montréal.
  3. Le rapport complet peut être obtenu en s’adressant au RAPSIM (514-879-1949).
  4. Ce texte n’a pas été soumis aux autres commissaires et les opinions exprimées n’engagent que l’auteure.
  5. L’assemblée a commencé avec deux présentations : l’une par un entrepreneur en construction qui est aussi membre du conseil d’administration d’une maison de chambres socialisée, et l’autre, par une infirmière de l’équipe itinérance du CSSS Jeanne-Mance. De plus, la conférence de presse sur le rapport de la Commission était précédée par un atelier où les principaux résultats étaient transmis aux personnes qui avaient assisté aux consultations.