Voilà plus de 15 ans que je fréquente l’éthique de la recherche par l’intermédiaire de l’une ou l’autre des multiples instances (comités, organismes publics, etc.) chargées d’en appliquer les règles et les principes. Mes points de vue sur l’éthique de la recherche et les comités se sont accumulés au cours des années : c’est d’abord à titre d’assistante de recherche au sein d’une équipe en orthophonie que j’ai eu mes premiers rendez-vous avec l’éthique. Devenue ensuite étudiante en bioéthique, j’ai étudié l’éthique et l’expérimentation chez l’être humain, puis, lors de mes premières années au doctorat (en sciences biomédicales), je suis devenue membre d’un comité d’éthique de la recherche (CÉR) universitaire. J’ai repris mes fréquentations avec les CÉR quelques années plus tard, quand j’ai été amenée à coordonner les projets d’une équipe de recherche intéressée au vieillissement. Depuis 2004, je coordonne non plus des projets qu’il faut soumettre au CÉR, mais bien les activités d’un CÉR d’un CSSS-Centre affilié universitaire, dont j’assume depuis près d’un an la présidence. En parallèle, je travaille au sein des Programmes de bioéthique à l’Université de Montréal, programmes qui forment des bioéthiciens, souvent membres de CÉR. Un ensemble de points de vue donc, qui s’additionnent, se renforcent parfois, et me conduisent à tirer quelques constats et à m’interroger sur le rôle actuel que jouent les CÉR.
Sous le signe de la gestion
L’évaluation des aspects éthiques des recherches faisant appel au concours d’êtres humains fait depuis longtemps l’objet de préoccupations, tant de la part des bailleurs de fonds et des décideurs, que des personnes chargées d’encadrer ces recherches, de les stimuler et d’en diffuser les résultats. Au Canada, les énoncés, codes, guides, directives et autres plans d’action en matière d’éthique de la recherche ont proliféré au cours des quinze dernières années1. Ainsi, les organismes subventionnaires, universités et autres acteurs liés au monde de la recherche ont contribué à consolider et à institutionnaliser l’éthique de la recherche, la plaçant, pour reprendre les mots de Bourgeault « sous le signe de la gestion et (…) du même coup, au service de la gestion » (2004: 5).
En pratique, cette institutionnalisation s’est opérée entre autres par l’implantation des CÉR au sein des universités, des centres de recherche et des établissements du réseau de la santé et des services sociaux sollicités par des chercheurs. Ces CÉR, dont la composition fut prescrite dès le départ2, ont eu pour mandat de s’assurer que les projets soumis témoignent du respect des grands principes d’éthique, principes reposant sur l’impératif moral du respect de la dignité humaine. Les plus connus sont l’autodétermination, le consentement libre, le respect de la vie, la bienfaisance, la justice, l’égalité, la confidentialité et la responsabilité.
Or, comme c’était le cas il y a 15 ans, l’examen éthique d’un projet de recherche se résume encore souvent à l’évaluation du formulaire de consentement. Pourquoi cette emphase sur un document qui n’est en fait qu’une partie du projet de recherche ? Le fait que les CÉR soient composés d’une majorité de chercheurs expliquerait-il cette réticence à ne pas examiner de trop près les aspects scientifiques du projet d’un autre chercheur ? Ou est-ce parce que le formulaire de consentement est un document légal qui engage certes le chercheur, mais aussi l’établissement qui évalue le projet ? Par ailleurs, tous les aspects éthiques d’un projet se retrouvent-ils forcément dans le formulaire de consentement ? Qu’en est-il des aspects éthiques de la genèse du projet, de ses hypothèses ou ses objectifs, des choix méthodologiques opérés par le chercheur ainsi que des retombées anticipées ou attendues du projet ?
Au cours de mes années de fréquentation avec les CÉR en tant que chercheure, je n’ai jamais été invitée à discuter des dimensions éthiques d’un projet auquel j’étais associée avec les membres d’un CÉR. Encore moins à solliciter la collaboration de ces mêmes comités au moment de la conception d’un projet. Tout au plus m’est-il arrivé, à deux ou trois reprises, d’être convoquée à une réunion du CÉR afin de répondre aux questions sur un aspect ou l’autre du projet présenté. Chaque fois, je suis allée à ces rencontres avec l’impression d’avoir fauté, et en suis ressortie en appréhendant leur décision. J’exagère à peine le caractère inquisiteur de ces comités ; ou perçu tel par les chercheurs. Bien que le CÉR dont j’assume la présidence ait tenté dès sa mise sur pieds de modifier cette image, les réactions de certains chercheurs ayant accepté ces invitations témoignent éloquemment que cette réputation n’est pas près de changer.
Susciter la réflexion éthique
Au moment de sa mise sur pied, le comité d’éthique de la recherche que je préside souhaitait fonctionner différemment et créer un lieu permettant aux chercheurs d’échanger, à tous les moments de la recherche, avec les membres du CÉR et de réfléchir aux aspects éthiques de leur projet de recherche. Cette volonté n’a pas pu véritablement se concrétiser et a pratiquement été abandonnée ; la plupart des chercheurs ne voyant pas d’avantages à adhérer à cette façon de faire. L’établissement faisant partie du réseau de la santé et des services sociaux, il est, au même titre que les autres établissements du réseau, fréquemment sollicité pour participer à une diversité de projets de recherche. En outre, un projet sur deux est multicentrique et a souvent fait l’objet de plusieurs évaluations éthiques avant de nous parvenir. Placés dans la position d’approuver des projets déjà approuvés par de multiples instances, les membres du CÉR n’ont presque jamais émis de réserves ou fait état de leur dissidence. Pouvait-il en être autrement ? Un CÉR d’établissement peut-il opposer quelques arguments que ce soit aux décisions des bailleurs de fonds ayant jugé que ces projets devaient être réalisés ? Le CÉR d’un établissement peut-il, dans le cas d’un projet multicentrique, remettre en cause les décisions positives déjà rendues par de multiples CÉR ? Poser ces questions, c’est déjà, me semble-t-il, y répondre un peu.
Ces quinze années de fréquentation plus ou moins assidues avec les CÉR ne me permettent pas de croire que leur fonctionnement actuel les amène à remplir les mandats pour lesquels ils ont été créés. Rarement, les projets que j’ai soumis à divers CÉR ou que j’ai examinés en tant que membre d’un CÉR ont été l’occasion, tant pour les chercheurs que pour les membres du comité, de réfléchir ensemble à leurs aspects éthiques. Faut-il en attribuer la faute à l’organisation même du travail des CÉR ? Comment faire alors, pour changer cette situation ?
En somme… y a-t-il une lumière au bout du tunnel ?
… et si oui, est-ce une ouverture ou la lumière du train qui fonce ? Une boutade qui résume bien l’état d’esprit dans lequel j’ai écrit cet article. Bien que je pense que le mode de fonctionnement actuel des comités d’éthique de la recherche doive être révisé, il me paraît difficile de le faire à une plus large échelle. Et je ne crois pas non plus qu’une gestion plus serrée, qu’une réglementation accrue, que l’application de quelconque mécanisme change quoi que ce soit au cul-de-sac vers lequel me paraissent se diriger les CÉR. À moins que l’ensemble des acteurs de la recherche ne décident d’un moratoire, l’espoir de voir les choses changer réside, selon moi, dans les initiatives à plus petite échelle, par exemple, à l’échelle d’un seul CÉR ou, pourquoi pas, à l’échelle de quelques établissements du réseau comme les Centres affiliés universitaires (CAU).
Pourrait-on confier au CÉR d’un établissement désigné CAU la mission de développer un mode de réflexion éthique en fonction des axes de sa programmation ? Pourrait-on imaginer un mode de réflexion qui conduirait tous les chercheurs à développer leurs projets de recherche de manière à ne pas contribuer aux inégalités sociales et aux discriminations et en faisant plutôt la promotion des pratiques alternatives de citoyenneté ?
Notes
1 Je ne mentionne ici que deux documents, actuellement en révision, mais dont l’influence est majeure sur la recherche au Québec : l’Énoncé de politique des trois Conseils : Éthique de la recherche avec des êtres humains et le Plan d’action ministériel en éthique de la recherche et en intégrité scientifique, tous deux publiés en 1998.
2 Ne fait pas partie d’un CÉR qui veut. À la base, un CÉR doit comprendre une personne versée en éthique, une autre en droit, un représentant du public, une ou plusieurs personnes versées en recherche.
Références
Bourgeault, Guy (2004). Éthiques : Dit et non-dit, contredit, interdit. Montréal : Presses de l’Université du Québec.
Contenu de cette page
Télécharger le document
Télécharger (.PDF)Auteurs
- Christine Brassard
- Programmes de bioéthique de l'Université de Montréal et présidente du comité d'éthique de la recherche du CSSS Jeanne-Mance