Parents et « maturité scolaire » : reconnaissance et dignité

Pour rejoindre les parents vivant en contexte de pauvreté et pouvoir réfléchir et échanger avec eux sur la situation des enfants en regard de la maturité scolaire, que doit-on reconnaître, avant toute chose, chez ces familles ? La réflexion présentée ici s’appuie sur de précédents travaux et expériences avec les familles ainsi que sur un projet de recherche participative mené dans deux quartiers de Montréal auprès de parents d’enfants d’âge préscolaire provenant de familles à faible revenu. Pendant cette recherche, deux groupes de parents ont été rencontrés pour une heure et demie hebdomadairement et ce, durant dix semaines, avec l’objectif de documenter leur vécu social et de réfléchir sur le pouvoir d’agir collectif. Ils étaient invités à partager leurs préoccupations familiales et sociales, à donner leur point de vue sur le quartier (les services, l’environnement, les loisirs, le logement et la sécurité entre autres) et à réfléchir sur leurs capacités et leurs possibilités d’agir comme parents et citoyens.

La valeur des choix

Les familles à faible revenu ne constituent pas un groupe homogène ; on y retrouve les mêmes différences de valeurs et de besoins que chez les familles économiquement favorisées. Pourtant, les programmes mis en place s’appuient souvent sur un modèle d’intervention unique. Les services offerts pour répondre à leurs besoins et à leurs valeurs sont limités en termes de diversité, par rapport aux multiples options s’offrant aux parents plus favorisés. Ces derniers peuvent faire des choix cohérents avec leurs valeurs et avec l’organisation de leur vie quotidienne. Ils ont le choix du quartier où ils veulent habiter, peuvent envoyer leur enfant à la garderie ou employer une gardienne à la maison, l’inscrire dans une prématernelle privée ou payer des services si, par exemple, on soupçonne qu’il a des problèmes de langage. Par contre, un parent qui vit en contexte de pauvreté n’a pas accès à tous ces choix. La plage des possibilités qui s’ouvre à lui est restreinte. Son alternative principale consiste alors à ne pas utiliser les services offerts parce qu’ils ne correspondent pas à ses valeurs éducatives ou à l’organisation de sa vie quotidienne.

Les parents n’ont pourtant pas tous les mêmes besoins en termes de services. Par exemple, dans la recherche participative menée, des parents souhaitaient une place en service de garde pour pouvoir retourner aux études ou trouver un travail. Cependant, ils en déploraient l’absence ou le manque. La seule option qui s’offrait à eux sur leur territoire était la garde en milieu familial, mais ils ne voulaient pas y inscrire leur enfant car ils s’en méfiaient. D’un autre côté, des parents se disaient dérangés par la pression sociale qui s’exerce à leur égard, à titre de familles défavorisées, pour qu’ils envoient leurs enfants à la garderie. Ils n’étaient pas intéressés par des services de garde et se disaient fiers d’éduquer eux-mêmes leurs enfants. Ils valorisaient leur rôle de premier éducateur mais évoquaient positivement les haltes-garderies ou haltes-répits ainsi que les ateliers parents-enfant, considérant l’importance pour leur enfant de fréquenter ces lieux. D’un côté, des parents qui valorisaient le rôle de premiers éducateurs de leur enfant ; de l’autre, des parents qui valorisaient le retour au travail pour offrir à leur famille de meilleures conditions de vie.

Ainsi, même s’il est démontré que les services de garde de qualité sont les plus bénéfiques pour les enfants de milieux défavorisés, ces familles les fréquentent peu, même si elles y ont accès, et ce, pour de multiples raisons auxquelles il faudrait s’intéresser davantage. L’enjeu à l’égard de l’offre de services ne se situe pas au niveau de ce qui devrait être priorisé, par exemple, entre les prématernelles, les services de garde et les haltes-garderies. Il s’agit plutôt de reconnaître la diversité des préférences chez les familles à faible revenu. Pour réfléchir avec les parents et se mobiliser avec eux sur la question de la préparation à l’école, il faut accorder une valeur à leurs choix, même s’ils ne correspondent pas toujours à ce que les études privilégient.

Rendre justice

Les interventions et programmes mis en place sont constamment justifiés par les déterminants individuels. On insiste sur l’importance d’intervenir auprès de tel sous-groupe de la population parce qu’on y retrouve des prévalences, par exemple, de dépression, de troubles de comportement, d’abus ou de négligence à des pourcentages élevés. Par ces statistiques, le sous-groupe visé est estimé comme étant « à risque » pour le développement de ses enfants. Les données de ce genre pullulent. Par contre, peu d’études s’intéressent au contexte social dans lequel ces groupes doivent vivre. Ne pas connaître ce contrepoids fait reposer sur les familles l’entière responsabilité des difficultés de leurs enfants.

Pour chaque déterminant individuel chiffré, un déterminant social devrait l’être également afin de rendre justice aux familles défavorisées. Cela impliquerait de fournir des statistiques, par exemple, sur le logement (nombre de logements subventionnés dans le quartier et leur état général) et sur l’accessibilité aux transports publics, à des aliments sains, à des parcs équipés d’aires de jeu de qualité et à des activités culturelles et sportives.

Les parents rencontrés se demandaient comment répondre à tout ce qui leur est prescrit, considérant le contexte économique dans lequel ils vivent. Ils ont témoigné à plusieurs reprises de cette pression qui s’exerce sur eux au travers des institutions et qui engendre un sentiment de culpabilité et d’incompétence. Il faut aller plus loin que la reconnaissance des conditions de vie dans lesquelles ces familles vivent pour mieux identifier et nommer les rapports sociaux producteurs d’exclusion.

Vers une éthique de la discussion

Si nous voulons réellement impliquer les parents vivant en contexte de pauvreté dans une réflexion sur la situation de leurs enfants, il est nécessaire de les considérer dans toute leur dignité et de penser les échanges sous le signe d’une éthique de la discussion plutôt que d’une éthique de la conviction (Rhéaume, 2007).2 En effet, il semble que dans le lien d’intervention actuel avec les familles, la communication soit plutôt axée sur la transmission ou l’affirmation de vérités confortées par des connaissances scientifiques (éthique de la conviction). Il s’agit alors de convaincre l’autre, « par pression ou séduction », afin de s’assurer de son adhésion. Une éthique de la discussion s’appuie, au contraire, sur un échange entre ceux qui détiennent des savoirs professionnels et ceux qui détiennent des savoirs expérientiels afin de parvenir à un compromis ou un consensus et non pas d’imposer des normes : « l’intervention devient ici dialogue et confiance dans une rationalité pratique » (Idem).

Notes

1. Cet article provient d’une conférence prononcée le 8 octobre 2008 au Centre St-Pierre, dans le cadre de la Journée de réflexion sur la maturité scolaire. Cet événement, organisé par le Groupe de travail du Comité régional pour une action concertée en développement de l’enfant, s’inscrivait dans le cadre de l’initiative des Sommets sur la maturité scolaire mise de l’avant par la Direction de santé publique.

2. Rhéaume (2007) développe les fondements de l’intervention sociale en lien avec les notions d’éthique et d’altérité, plus spécifiquement dans le contexte de la santé et des services sociaux. Cet auteur  définit l’éthique comme une réflexion portant sur les fondements et les principes directeurs ou normatifs de l’action humaine. Pour lui, s’intéresser à l’éthique aujourd’hui dans l’intervention, c’est vouloir redonner à l’autre toute sa dignité dans l’optique d’une société plus égalitaire.

Références

Direction de la Santé Publique (2008). L’initiative des sommets sur la maturité scolaire. Description et cadre de fonctionnement. Éléments structurants. Agence de la santé et des services sociaux de Montréal. Rhéaume, J. (2007). « Éthique et altérité : de quelle éthique et de quelle altérité ? » in Montgomery, C. et M. Cognet, Éthique de l’altérité. La question de la culture dans le champ de la santé et des services sociaux, Presses de l’Université Laval, Ste-Foy.