Bien des villes abritent des hommes et des femmes en rupture avec le monde social institué. Itinérants, réfugiés sans papiers et jeunes décrocheurs « en errance » sont hypervisibles sur le plan médiatique et pourtant, ils restent souvent invisibles pour les institutions qui sont censées leur apporter un soutien matériel, médical, social ou juridique. Certains agents ont pour mission d’aller au-devant de ces personnes en rupture pour favoriser leur accès aux droits quand celui-ci est parsemé d’obstacles ou pour essayer de comprendre leur point de vue, leurs besoins et leurs attentes. Cet article présente les résultats d’une recherche exploratoire visant à fournir un nouveau regard sur les modes de sortie du « non-recours », de la « non-participation » ou de l’invisibilité quand ces situations sont associées à la souffrance sociale. Pour ce faire, nous nous sommes intéressés aux démarches portées par 18 organismes répartis dans trois villes où de telles pratiques existent depuis plusieurs décennies (Montréal, Amsterdam et Barcelone). Au cours de la recherche, nous avons tout d’abord effectué une recension bibliographique exhaustive. Puis, nous avons réalisé trois séries d’enquêtes par entretiens individuels ou collectifs, impliquant des intervenants de première ligne et des publics marginalisés. Ces trois séries d’entretiens ont été complétées par quelques entrevues avec des informateurs-clé.
Notre objet de recherche se situe donc dans le champ de l’outreach ou de l’« aller-vers », mais dans une optique plus large. Appliquée à l’intervention sociosanitaire, la notion d’outreach est fréquemment utilisée pour désigner des pratiques qui visent non seulement à aller à la rencontre des populations marginalisées mais aussi à les ramener vers le « système » – pour reprendre une formulation fréquemment entendue sur le terrain – ou, du moins, à les accompagner vers des services généraux. La perspective de notre recherche est quelque peu différente. Nous nous sommes intéressés à l’ensemble des démarches d’intervenants qui visent à aller au-devant des populations marginalisées afin de déceler quelles sont les directions prises dans l’intervention et les diverses « logiques d’action » qui guident les pratiques observées. Quelles sont leurs sources de légitimité ? Comment sont-elles perçues par les publics visés ? Quel est leur impact en termes d’inclusion sociale ? Tel était l’un des principaux objectifs de notre recherche.1 Ce sont ces logiques d’action que nous présentons dans cet article après avoir donné quelques précisions sur nos terrains de recherche.
Trois villes
À Amsterdam, nos explorations se sont construites autour de la notion de « jeunes en errance » dans l’espace public, rappelant les « jeunes qui tiennent les murs » dans les banlieues françaises.2 Bien que la plupart aient un domicile, ils focalisent l’attention des médias de masse en termes de « violences » et de « provocations » à l’encontre de l’ordre établi et leur comportement, réel ou supposé, suscite l’incompréhension de la majeure partie de la population néerlandaise. Nos enquêtes ont porté sur les pratiques sociales qui visent à aller à la rencontre de ces jeunes dans leur milieu de vie et qui entrent sous le terme plus ou moins générique d’ambulant jongerenwerk (c’est-à-dire une intervention socioéducative destinée aux jeunes et basée sur la mobilité dans les espaces publics où ils se trouvent).
À Montréal, nos premiers repérages nous ont conduits à nous intéresser à l’ « intervention de milieu ». Ce terme correspondait à notre problématique dans le sens où il désigne le prolongement du travail de rue qui intervient une fois qu’un rapport de confiance a pu être établi et que la personne « se met à prendre du pouvoir sur sa vie ». Le travail de milieu prend alors le relais du travail de rue pour intervenir sur la relation de la personne à la société, que ce soit dans le rapport aux institutions ou dans la relation avec les autres usagers dans l’espace public. Au cours de la recherche, nous nous sommes aperçus que cette notion de travail de milieu était loin d’être univoque et qu’elle était entendue de manière variable par les différents organismes montréalais. Dans nos enquêtes, nous avons souhaité donner une idée de la variété des publics visés par l’intervention de milieu. Par exemple, il est apparu lors des premiers repérages que les « jeunes de la rue » constituent un public fortement privilégié par l’intervention de milieu en raison du lien historique avec le travail de rue. Cela dit, nous avons pu constater que d’autres publics peuvent également faire l’objet d’intervention de milieu, notamment les résidents âgés d’habitations à loyer modique, mais aussi les itinérants « seniors » et les jeunes scolarisés considérés comme à risque de décrochage scolaire.
À Barcelone, les repérages ont découlé de notre compréhension de la notion montréalaise d’intervention de milieu pour essayer de saisir les pratiques correspondantes. Les notions d’« éducation de rue » ou d’« éducation en milieu ouvert » qui caractérisent ces pratiques mettent l’accent sur l’orientation socioéducative par différence avec une orientation de contrôle – même si cette orientation n’est pas inexistante dans certains projets. Tout comme à Montréal, les enquêtes ont porté sur une plus grande variété de publics qu’à Amsterdam. Pourtant, certains modes de problématisation des publics sont européens et donc, plus proches des réalités néerlandaises que des réalités canadiennes (notamment, le chômage dans un contexte de pénurie d’emploi ou la présence d’immigrants sans-papiers d’origine africaine). Les enquêtes menées à Barcelone rendent compte de la diversité des problématiques traitées par les collectifs et les organismes qui mettent en œuvre cette forme d’intervention sociale. Ainsi ont été associés aux enquêtes des usagers de drogues illicites, des personnes sans-abri, des travailleuses du sexe ainsi que des jeunes en errance.
Logiques individuelles et collectives
Dans les trois villes, presque toutes les pratiques sont portées par des organismes privés, le plus souvent sans but lucratif (sauf une exception à Amsterdam et une à Barcelone), percevant pour tout ou partie des financements d’origine publique. Ces financements publics concernent soit directement les interventions qui visent à rejoindre les publics marginalisés (Amsterdam), soit des missions connexes de prévention ou de réduction des méfaits (Montréal, Barcelone). Certains organismes perçoivent également des financements privés transitant par des fondations ou recueillis directement par les organismes lors de campagnes de dons. Les modalités d’intervention sur lesquelles reposent ces pratiques sont également relativement homogènes d’un terrain à un autre. La mobilisation de l’idée de proximité occupe une place centrale dans l’établissement d’un premier contact, mais aussi dans la construction d’une relation de confiance avec le public visé. Le recours à la proximité comme moyen repose dans certains cas sur des savoirs et des savoir-faire professionnels développés lors de formations préalables (à Montréal notamment) mais surtout, au fil de l’expérience professionnelle et du contact avec les publics marginalisés (en particulier à Barcelone). Ces deux formes de proximité (proximité de formation et proximité vécue) se trouvent parfois combinées sur le terrain. Les intervenants réputés extérieurs aux publics visés cherchent à mobiliser certaines caractéristiques personnelles pour renforcer leur expertise en termes d’analyse des publics visés. Les pairs cherchent à mobiliser les acquis de leur expérience professionnelle dans l’intervention au quotidien ainsi que les apports liés aux contacts avec les intervenants ayant reçu une formation théorique en intervention sociale.
Le recours aux pairs-aidants est moins fréquent à Barcelone qu’à Montréal ou Amsterdam parce qu’il implique de soutenir et d’accompagner les pairs dans une trajectoire d’inclusion sociale et professionnelle après une expérience de marginalisation. Certains organismes font le choix de s’engager dans un tel projet mais ce dernier ne correspond pas toujours aux objectifs des organismes publics qui financent des pratiques. À Amsterdam, la plupart des intervenants impliqués dans la recherche sont issus du milieu mais les organismes n’ont pas véritablement de programme visant à soutenir leur démarche d’inclusion, si ce n’est en leur confiant une mission auprès de leurs pairs.
De nos enquêtes, il ressort que les logiques d’action et leurs modalités suivies par les organismes impliqués dans la recherche sont de plusieurs ordres qui se retrouvent de manière relativement semblable dans les trois villes. Les logiques d’action sont, dans certains cas, individuelles (favoriser l’accès à des services; développer des capacités; favoriser l’implication sociale; travailler la motivation), tandis que d’autres ont une vocation plus collective ou, du moins, interpersonnelle (favoriser la cohabitation; prévenir les risques et favoriser la « réduction des méfaits »). Les premières logiques d’action ont potentiellement une portée sur la relation de l’individu marginalisé à la société en général, tandis que les dernières ont plutôt une portée sur les relations des individus marginalisés aux autres individus qu’ils côtoient au quotidien, que ce soit leurs pairs ou les autres usagers des espaces publics.
Accès aux services
Certaines pratiques visent clairement à favoriser l’accès à des services, soit en offrant des services spécifiques, soit en offrant un accompagnement vers des services généraux existants dans l’optique de l’accès effectif aux droits. Par exemple, à Montréal, certains intervenants accompagnent des personnes vers des établissements où, au terme d’un parcours parsemé d’échecs et de désillusions, elles n’osent pas aller seules. À Amsterdam, les dettes contractées par des jeunes sont une source d’embûches et de marginalisation que certaines ressources publiques ont pour but de résoudre. Encore faut-il en avoir connaissance et faire la démarche de s’adresser à ces ressources. L’accès aux services peut également être promu par l’adaptation des ressources aux contraintes des publics. Par exemple, dans le cas des aînés en perte d’autonomie, certains organismes contribuent à mettre en lumière les contraintes qu’ils observent sur le terrain au quotidien. L’accompagnement vers les ressources peut être un objectif de l’intervention, mais aussi un préalable à celle-ci quand les problèmes personnels se révèlent être une sérieuse entrave à la réalisation de ses objectifs. L’accompagnement peut aussi être un moyen de renforcer la relation de confiance entre l’intervenant et le public visé, voire même une monnaie d’échange (aide à la résolution de problèmes personnels contre une participation au projet constituant le corps de l’intervention). Cette logique de l’échange est omniprésente dans les discours des intervenants interrogés à Amsterdam, à la fois pour construire une relation et pour inciter les jeunes à entamer une démarche d’insertion personnelle ou à s’engager auprès d’autrui (activité pour le quartier, projet humanitaire).
À Barcelone, cette logique de l’accès aux services est plus présente et plus visible avec les intervenants professionnels situés dans des organismes percevant uniquement des financements publics. Favoriser l’accès aux services est entendu comme un moyen pour rendre les droits effectifs. Dans la mesure où ce sont des organismes qui ne vivent que des financements publics, ils doivent montrer explicitement que les financements servent à offrir des services aux publics marginalisés. Par exemple, dans l’intervention de proximité avec des travailleuses du sexe, les intervenants se rendent jusqu’au lieu de travail (la rue ou un local) pour leur offrir des outils de prévention des risques liés aux maladies sexuellement transmissibles et au VIH/Sida. Il arrive aussi que des intervenantes prennent des rendez-vous pour des analyses médicales, pour un bilan de santé ou pour obtenir des résultats. Il se peut également que les intervenantes accompagnent des travailleuses du sexe vers des ressources de santé publique dans une optique pédagogique, afin de favoriser une relation sans préjugé et non-discriminatoire entre les ressources et les usagers.
Capacités
D’autres pratiques visent à développer des capacités telles qu’apprendre à rédiger une lettre de motivation et à construire son curriculum vitae. Certains intervenants font clairement une distinction entre le soutien au développement de capacités et le soutien à la découverte de capacités existantes mais méconnues. À Amsterdam, à travers leur implication dans le montage de projets tels que la préparation d’un spectacle public, certains jeunes se découvrent des talents d’organisateurs et sont capables de mener un projet à terme malgré les imprévus et le stress. Cela s’inscrit dans une logique de promotion de l’autonomie et d’empowerment. À Barcelone, presque tous les intervenants rapportent qu’ils tentent de développer des capacités, mais cette logique est plus claire et plus évidente parmi les intervenants liés aux organismes qui perçoivent un financement public et privé et où se trouvent une variété d’intervenants (professionnels, bénévoles ou stagiaires). Par exemple, il peut s’agir de favoriser les capacités de communiquer, d’exprimer les angoisses, les peurs, les rêves et les défis à l’aide du théâtre comme outil pour renforcer leur reconnaissance et améliorer leur image sociale. Dans ces pratiques, les intervenants présentent le public visé en tant qu’acteurs et protagonistes de leurs interventions, dans l’optique de responsabiliser la personne, de la faire participer au processus d’amélioration ou de récupération de leur qualité de vie à partir d’une logique biographique.
Implication sociale
Il peut également s’agir de favoriser l’implication sociale des personnes visées par l’intervention, soit dans une logique de défense des droits, soit dans une logique d’exercice de la citoyenneté. À Montréal, certains itinérants seniors sont invités à témoigner de leurs conditions de vie lors de manifestations publiques. À Barcelone, des associations d’immigrants sans papier favorisent leur participation à des manifestations publiques en tant que stratégie de mise en visibilité, mais aussi en tant que stratégie pour se rapprocher des citoyens qui sont également des travailleurs précaires. Il s’agit de réduire la distance entre les uns et les autres, ou de chercher des éléments qui peuvent les unir dans le but d’éveiller une conscience de classe sociale, et non pas de souligner la différence ethnoculturelle. Cette logique d’implication sociale se retrouve également dans certains projets concernant les jeunes à risque de décrochage scolaire à Amsterdam.
Motivation
Ces trois premières logiques en masquent une quatrième qui promeut le travail sur la motivation et met l’accent sur la mise en mouvement et le fait de se fixer un but. Pour « s’en sortir », le développement ou la mise au jour des capacités ne suffit pas toujours, il faut être « motivé ». C’est une condition posée à l’entrée de bon nombre de programmes d’insertion (par exemple, professionnelle) dans les trois pays observés. Dans un contexte de forte pénurie d’emploi, les programmes d’insertion sont bien souvent réservés aux « plus motivés ». Il ne faut pas en déduire que les publics visés sont apathiques, mais plutôt souligner le fait que les obstacles qui parsèment le parcours de l’insertion sont nombreux et que certaines personnes vulnérables peuvent se trouver désarmées, bien qu’étant très « motivées » au départ. Des jeunes nous ont dit avoir envie de faire quelque chose de grand, mais ne pas croire que ce soit possible. Travailler la motivation est alors un exercice de longue haleine car les risques de décrochage sont forts, y compris en cours de projet, surtout parmi les personnes isolées. À ce stade, les intervenants peuvent avoir à relancer la motivation et reprendre le travail sur la confiance en soi. Cela implique bien sûr de pouvoir suivre le public visé dans la durée, ce qui est prévu dans presque tous les cas à Montréal et ce qui arrive de fait à Amsterdam. À Barcelone, la question de la motivation est également importante, notamment dans les entretiens recueillis auprès des jeunes toxicomanes qui ont des liens faibles avec leur famille et ont présenté le soutien des intervenants comme un élément essentiel et nécessaire pour surmonter la peur de l’échec dans le processus de réinsertion.
Cohabitation
Une autre logique d’action vise à favoriser la cohabitation entre les publics marginalisés et d’autres usagers des espaces liés à l’intervention, qui perçoivent ce public comme une source d’irritants, à travers des activités de médiation de conflits et de sensibilisation. Il s’agit alors de travailler sur l’image qu’on donne à autrui, en partant de questions polémiques telles que la présence de seringues souillées dans l’espace public. Lors d’opérations de collectes de seringues à Montréal, des utilisateurs de drogues injectables ont l’occasion de rencontrer d’autres résidents ou d’autres usagers de l’espace public tout en se montrant sous un jour inattendu. La question de l’image est également fortement présente à Amsterdam, où les jeunes « en errance » sont fortement stigmatisés et fréquemment accusés de troubles à l’ordre public et de « nuisances ». Cette logique est également perceptible dans différentes pratiques à Barcelone : certains organismes qui travaillent avec des personnes sans-abri organisent périodiquement des rencontres avec les voisins pour aborder des situations où ils se sentent dérangés. En même temps, ces rencontres sont une occasion pour les intervenants de présenter les actions qu’ils mènent de manière pédagogique. Les interventions consistent plus en intermédiation qu’en médiation : ce sont les intervenants qui essaient de favoriser la médiation entre les habitants et les commerçants ou entre le public visé par les organismes et les autres usagers des espaces publics du quartier. Ils ne font pas vraiment de la médiation au sens où les personnes en conflit ne vont jamais se retrouver pour parler de l’objet du conflit. Les intervenants tentent de résorber les situations de conflit entre les différentes parties impliquées et de montrer le public visé sous un jour positif et moins stigmatisé. Dans les zones urbaines qui sont engagées dans un processus de « gentrification », il est de plus en plus difficile de pratiquer l’intermédiation parce que les nouveaux voisins exercent des pressions pour obtenir le « nettoyage » social du quartier.
Risques et méfaits
Une dernière logique est celle de la prévention des risques et de la « réduction des méfaits » (au titre de la prévention secondaire et/ou tertiaire). Ces risques peuvent être de l’ordre de la maladie ou de situations de crise à Montréal et Barcelone (réduction de méfaits et réduction des risques de transmission du VIH/Sida ou d’autres maladies infectieuses). Certaines pratiques visent également à prévenir l’échec scolaire, le chômage ou la délinquance. Dans ce domaine, le risque peut aussi être l’isolement des jeunes immigrants qui n’ont pas de contacts avec le réseau social du quartier. À Amsterdam, le thème des incivilités et de l’asocialité est très présent, parfois explicitement dans les objectifs officiels de certains organismes, mais aussi dans la pratique au quotidien. La plupart des organismes employeurs des intervenants socioéducatifs interrogés sont engagés dans des partenariats avec divers acteurs locaux tels que la police et la municipalité. Selon ces contrats, les intervenants de terrain sont régulièrement appelés à fournir des renseignements sur le comportement des jeunes quand celui-ci est jugé problématique. Évidemment, cela peut remettre en cause la construction d’une relation de confiance entre les intervenants et les jeunes. La logique de la prévention des risques et les autres logiques à l’œuvre dans les pratiques observées (accès à des services, développement de capacités) peuvent alors être vues comme antagonistes.
Convergences
Ce dernier point permet d’aborder la question de la convergence entre les logiques d’action présentées dans les différents organismes impliqués dans la recherche et les logiques d’action qui découlent de l’analyse du discours des intervenants. Cette convergence est en général forte mais à relativiser sur quelques points. La question des incivilités en est un contre-exemple particulièrement évident à Amsterdam. La plupart des intervenants s’estiment gênés dans l’accomplissement de l’axe principal de leur mission (la construction d’une relation de confiance avec les jeunes marginaux devant déboucher sur le raccrochage dans un parcours d’insertion sociale et/ou professionnelle) en raison de l’injonction des institutions à fournir des informations sur les jeunes à laquelle ils se doivent de déroger sous peine de compromettre la relation construite avec les jeunes. De la même manière, certains intervenants qui travaillent auprès des jeunes en errance ou auprès de personnes toxicomanes à Barcelone nous ont fait part de leur préoccupation face à l’émergence d’une tendance à transformer l’approche socioéducative en une approche sécuritaire et de contrôle. L’intervention dans l’espace public est un enjeu majeur pour les pouvoirs publics qui financent ces organismes. Par ailleurs, la logique d’accompagnement face à des difficultés personnelles ne fait pas toujours partie des objectifs officiels de l’intervention mais s’avère un passage obligé dans bien des cas.
Ces logiques concourent plus ou moins directement à l’inclusion de personnes en situation de marginalité selon des interprétations de l’inclusion et de la marge qui peuvent varier d’un champ de pratiques à un autre. Il peut s’agir de concevoir l’inclusion au sens vertical ou au sens horizontal, au sens politique ou au sens économique. Ainsi, l’ensemble de ces pratiques sont avant tout des pratiques de « mise en relation » sans qu’elles se réduisent à cela. Au-delà, elles contribuent à offrir aux personnes des occasions de réfléchir sur leur place dans la société et à les outiller pour y accéder ou la forger quand celle-ci est peu évidente. Plus ou moins explicitement, les pratiques observées s’inscrivent dans le sillage de l’éducation populaire dans le sens où il s’agit de pratiques de nature éducative « qui ne se limitent pas à ‘l’instruction des masses’ et à la ‘vulgarisation des connaissances’, mais englobent tous les efforts qui tendent à rendre au peuple une âme, une conscience et le sens de ses responsabilités, et à lui donner les moyens de s’exprimer et de s’extérioriser. »3
Notes
1. Rappelons que les deux autres objectifs de cette recherche étaient d’analyser les modalités d’intervention de ces pratiques (en quoi ces pratiques reposent-elles sur des savoirs et des savoir-faire professionnalisés) et enfin, de comprendre comment ces pratiques sont perçues par les publics visés. Ces objectifs ont été présentés dans le vol. 1, no. 3 de la Revue du CREMIS, pp. 29-33.
2. Notre recherche a été financée par un organisme étatique français, le Plan Urbanisme Construction Architecture, lié au Ministère de l’Environnement, du Développement et de l’Aménagement Durables. En plus des trois auteures de cet article, l’équipe de recherche comprenait deux autres chercheurs : Jan Willem Duyvendak et Marc Hoijtink (Université d’Amsterdam).
3. Cette définition est celle du Répertoire national de l’éducation populaire au Canada français (1956).
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Télécharger (.PDF)Auteurs
- Myriam Thirot
- Agente de recherche au CREMIS et étudiante au doctorat en sociologie, UQAM
- Marta Llobet Estany
- Professeure agrégée, Département de travail social et services sociaux, Université de Barcelone, Collaboratrice de l’Équipe PRAXCIT