L’impact de la musique auprès des étudiants se ressent à plusieurs niveaux. Elle apporte beaucoup à des adolescents en quête d’identité, débordant d’énergie mais ne sachant pas où et comment la canaliser. Elle leur apprend une certaine discipline personnelle mais aussi à jouer en groupe, à s’écouter. Elle leur offre une façon personnelle d’exprimer leur monde intérieur et d’évacuer un trop-plein d’émotions.
Maxime est un étudiant de troisième année du secondaire, chez qui a été diagnostiqué un déficit de l’attention. Il a des relations houleuses avec ses professeurs et est peu assidu à ses cours. Comme le métier de DJ le fascinait, je lui ai trouvé une place à la radio scolaire et, rapidement, il s’est mis à passer des heures à pratiquer et à regarder des vidéos de DJs connus pour observer leurs techniques. Les compétences qu’il a développées lui ont valu l’estime de ses camarades et une reconnaissance de l’école, qui a débloqué un budget pour l’achat d’équipement. Il est venu presque tous les midis faire de la radio, son taux d’absentéisme a baissé de façon remarquable et ses relations avec ses professeurs se sont grandement améliorées.
Un autre exemple est celui de Miguel. Très doué pour la guitare, il m’a un jour révélé son désir de décrocher de l’école pour pouvoir pratiquer son instrument toute la journée, l’école ne semblant lui promettre aucun avenir. Après avoir discuté avec lui, j’ai pris connaissance de ses lacunes en mathématiques qui ralentissaient son parcours scolaire et risquaient de lui faire redoubler son année scolaire. Je lui ai donc parlé de la réalité du métier de musicien, qui doit souvent s’appuyer sur un emploi d’appoint pour les périodes moins fertiles en contrats et du fait que la qualité de cet emploi dépend directement de sa formation scolaire. J’ai également instauré avec lui un système d’aide aux devoirs récompensé par des cours de musique et un concert, ce qui lui a permis de combler son retard et d’éviter le redoublement.
Un moule rigide
En ce qui me concerne, j’ai commencé à jouer de la musique à l’école secondaire à l’âge de 12 ans. Ne sachant pas quelle direction donner à ma carrière, j’ai décidé de poursuivre mes études en musique au cégep. C’est au cours de ces deux années que j’ai commencé à ressentir un malaise par rapport au milieu professionnel classique et, par conséquent, réalisé qu’une carrière de soliste de musique classique n’était pas faite pour moi. Toutes ces heures passées à répéter pour un seul concert, le culte de la perfection, le manque d’expression personnelle à travers un moule trop rigide, la compétition malsaine entre les pairs, souvent doublée d’une fausse sympathie pour garder une bonne réputation, tout cela m’est apparu bien absurde. Un jour, j’ai lu un article paru dans Médecine des Arts1 portant sur la consommation de drogue dans les orchestres symphoniques de calibre international, en réponse à la pression de performance à laquelle sont soumis les musiciens. J’ai alors pris la décision de changer de domaine pour une autre de mes passions, l’informatique, après avoir terminé ma formation en musique. Je n’ai presque pas touché à ma flûte pendant deux ans. Je ne voulais pas abandonner la musique, simplement la garder en tant que loisir.
La programmation informatique a retenu mon attention pendant ces deux années mais, encore une fois, c’est mon appréhension du milieu professionnel qui a freiné ma passion. Les deadlines trop courts et les patrons qui vous mettent de la pression sans considération, mènent à une impossibilité de prendre le temps qu’il faut pour accomplir un travail digne de ce nom. De plus, je me suis vite rendu compte que mes affinités demeuraient davantage avec les artistes qu’avec les informaticiens. Après moult réflexions, j’ai décidé de retourner en musique, mais cette fois en tant qu’éducateur. Je voulais faire connaître aux autres ces belles musiques que j’avais eu tant de plaisir à découvrir pendant mes études. J’ai mis de côté la performance classique pour explorer les espaces de création musicale dits populaires, traditionnels et jazz. L’atmosphère plus décontractée, le plus grand espace improvisatoire et surtout, l’absence de ce « culte de la perfection » m’ont redonné l’envie de faire des prestations publiques.
Je suis donc allé faire des études en musicologie dans le but d’enseigner l’histoire de la musique au niveau collégial. Cependant, après quelques semestres dans le milieu musicologique, la pertinence d’étudier des compositeurs et évènements révolus, de considérer et d’évaluer un art comme une science, de tenter de faire de l’objectif avec du subjectif m’est apparue discutable. J’ai pris conscience de mon besoin de travailler sur des objets plus concrets et plus immédiats. J’ai tout de même terminé cette formation et me suis mis en quête de travail dans le domaine de la musique.
De l’utile à l’agréable
Quelques mois plus tard, j’ai pris connaissance d’une offre d’emploi chez Fusion Jeunesse. La mission de cet organisme à but non lucratif est de contrer le décrochage par le biais de projets parascolaires coordonnés par des diplômés ou des étudiants en voie de finir leurs études. Pour ceux-ci, il s’agit d’une opportunité de pouvoir acquérir une première expérience de travail rémunérée dans leur domaine d’études tout en s’impliquant au niveau social. On parle de plus en plus des difficultés qu’éprouvent les jeunes adultes fraîchement sortis de l’université à se trouver un premier emploi — cette première année d’expérience qui pourra ensuite leur donner accès à un poste plus prestigieux. Fusion Jeunesse fait le lien entre ce besoin des diplômés et celui des écoles secondaires. Cet emploi m’est apparu comme une façon extraordinaire de joindre l’utile à l’agréable. Enthousiaste, j’ai réussi à le décrocher et, durant toute l’année scolaire, j’ai donné mon temps et mon énergie à créer des projets en musique avec des jeunes, apprendre le fonctionnement des écoles secondaires et me découvrir un intérêt pour l’implication sociale.
Les intervenants de Fusion Jeunesse proviennent de plusieurs domaines tels que musique, danse, politique, sports, communications, arts, relations ethniques, sciences physiques, génie et environnement. Mon collègue en sciences politiques aide le conseil d’élèves à assumer sa place dans l’école et à assurer une pérennité dans l’organisation. Un autre de mes collègues donne des cours de danse et monte des chorégraphies avec les élèves. Finalement, ma collègue en sciences physiques a inscrit l’école à First, un concours de robotique d’envergure nationale. En ma qualité de coordonnateur de projets de musique, j’ai pu notamment redémarrer une radio étudiante qui avait été abandonnée. Tout le matériel était disponible et fonctionnel, il ne manquait que quelqu’un pour prendre en charge le projet. C’est une situation qui survient souvent dans les écoles secondaires : il y a des ressources matérielles mais personne pour les utiliser. J’ai aussi mis sur pied des groupes de rock et de métal pour les étudiants qui n’ont plus accès aux cours de musique, offerts alors seulement aux élèves de secondaire un et deux. Finalement, j’ai organisé ce qui fut le premier talent show de l’école secondaire St-Henri.
Le projet Fusion Jeunesse, créé en 2006, présente également l’avantage de ne rien coûter aux écoles en termes de salaire aux intervenants puisque celui-ci est subventionné par divers organismes.2 Dans plusieurs écoles en milieu défavorisé, l’argent manque tant les élèves ont besoin de soutien (tickets-repas, aide aux devoirs), et une aide supplémentaire, qualifiée et gratuite, se refuse difficilement. Fusion Jeunesse et ses partenaires parviennent à financer la présence de coordonnateurs dans les écoles ciblées à raison de quinze heures par semaine pour toute la durée de l’année scolaire.
Encouragé par le succès de cette expérience, j’ai trouvé la motivation nécessaire pour poursuivre mes études à la maîtrise en éducation de la musique, entre autres afin de consolider la base pédagogique de ce projet auquel je crois.
Notes
1. De Nelsky, G. Y. (1998). « L’anxiété de performance et l’artiste-interprète », Médecine des Arts, 25 : 34-35.
2. Le financement provient, entre autres, de la Conférence régionale des élus de Montréal, des sept universités de l’île de Montréal, de la Commission scolaire de Montréal, de la Commission scolaire de la Pointe-de-l’Île, du Ministère de l’éducation, des loisirs et du sport, de la Ville de Montréal et de plusieurs entreprises privées.
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- Charles-Antoine Guillemette
- Intervenant auprès des jeunes, collectif CréArt